Doux, dur, dingue, c'est le chanvre !


Doux, dur, dingue, c'est le chanvre ! Texte n°2 du livre "La Mère Partie" par Batistin

Doux, dur, dingue, c'est le chanvre !

 Texte n°2 du livre "La Mère Partie" par Batistin

L​e clocher vibre de tout son long, hauts murs de pierres jaunes, coiffe d'ardoises.
Allongé à ses pieds, dans l'herbe du cimetière accroché à l'église, le regard perdu dans le ciel bleu d'été,
je ne sais plus qui des nuages hauts filant avec le vent, ou du clocher gagnera la course.
Le lourd bâtiment semble se déplacer dans l'azur et m'amène avec lui.

Un coup résonne encore quand l'oiseau revient vers sa nichée pour s'enfuir au coup suivant.
A chaque coup du battant sur la clocher de bronze, je l'imagine,
les oeufs de la colombe se craquellent, se fendillent.
Oiseau blanc aux petits assassinés avant qu'ils ne se risquent, dans leur premier envol, à tomber de si haut.
Il finira par manger les oeufs brisés, je le vois faire, je suis assis tout à côté, tout à coup.
Du haut, tout là haut, assis dans la charpente, les champs alentours s'offrent, écrasés de soleil.
Les blés coupés exhalent leur entêtante mort.
Un vieux bonhomme, sur la droite des champs, peine au potager.
Armé d'une pelle bêche, il creuse son trou. Il est midi.
Les douze coups mortels ont pourtant sauvé de la lame de fer
le ver de terre reconnaissant qui s'enfuit ventre à terre.
Je retombe au sol, le dos meurtri par un caillou du cimetière. Sous le caillou le ver de terre !

La dernière bouffée d'herbe sèche, lovée dans le tabac à cigarette, a fini de me décrocher le cerveau.
Je me lève, persuadé que les effets de la douce drogue ont pris fin.
J'ai envie d'un café, revigorant café.

La petite ville de pierres, juchée au beau milieu de la besogneuse campagne agricole est déserte.
Un banc, dans la rue centrale attend devant chez le coiffeur pour hommes.
Je le dépasse, ne désirant pas risquer comme l'autre jour, un coup de coude terrible dans les côtes.
M'étant assis là, à côté d'un paysan aux trois poils frisés dépassant du béret,
il me décocha le coup accompagné d'un autoritaire "c'est à toi !".
Il faut dire que j'ai les cheveux fort longs, et ne savait pas que sur ce banc se tenait la file.
Je dépasse donc, sans un regard vers la boutique, malgré la porte ouverte, le banc de bois blanc.
J'ai pourtant le temps d'apercevoir, du coin de l'oeil, mon vieux de l'autre jour,
revenu sans doute pour un poil oublié, et le coiffeur affairé.
Relevant d'un geste ample ma chevelure rebelle, l'air fier et la tête haute,
je ne vois pas le décroché du trottoir et m'étale de tout mon long.
J'aurais juré entendre rire.
Mais en me relevant je finis par m'apercevoir que la porte de la boutique est close !
Bien close, c'est le jour de fermeture ! Douce herbe fumée au cimetière que je croyais morte et qui revient.
Je m'enfuis et tourne dans la première venelle venue.
Un allée plantée d'arbres centenaires, laissant derrière moi la honte passagère,
s'ouvre, immense, au regard de la ville minuscule abrutie de lumière.
Midi, tous les villageois sont aux champs, j'ai faim.

Depuis l'église pourtant j'avais hier repéré que trois rues me séparaient du seul bistrot.
Et me voilà maintenant, seul, dans cette avenue ombragée, digne, fraîche,
comme un grand boulevard, comme une vieille chenue.
Avec ses arbres étranges aux feuilles d'un gris blanc étincelant qui bruissent sous le vent.
Le vent chaud s'est levé, et l'on croirait entendre mille voix, éraillées et insistantes,
crieuses de marché, commères et grosses voix de maquignons.
Jour de marché, mais personne, l'avenue est déserte.
Je peux, malgré le bruissement des voix, entendre mes chaussures de cuir
heurter mollement la terre battue. Le vent insiste, les voix aussi, aucune poussière pourtant
dans l'allée ne se soulève à mon passage. Les brins d'herbes aux pieds des grands arbres sont immobiles.
La terre tout entière est figée, sauf la fête qui se joue là-haut.
Hypnotisé par l'avenue, attiré vers cette antre merveilleuse,
qui, je ne sais pourquoi me semble accueillante, j'avance.

Loin au bout de l'allée déserte, un bonhomme jusqu'alors caché par l'énorme tronc d'un arbre,
debout, semble me sourire. J'avance, confiant, vers lui.
C'est un rémouleur.
Il se tient, un peu voûté, un tablier de cuir épais pendu à son cou, debout devant une machine colorée.
Dans une charrette rouge et jaune, repeinte de neuf, tourne sans fin une roue de pierre.
Il me sourit, amical, doux, ses yeux brillent pourtant d'une lueur transperçante.
Je manque lui parler et rompre ainsi le silence qui s'est fait.
Plus un bruit, aucune feuille ne bruisse plus maintenant, et chose terriblement étrange,
le couteau aiguisé patiemment sur la pierre qui tourne n'émet aucun son. Aucun.
Je suis pris d'un grand froid, malgré la lumière d'été.
Un grand frisson qui me parcourt l'échine.
L'homme aux yeux brillants, perçants, étincelants me sourit toujours pourtant avec tant de gentillesse.

Tout ceci s'étant passé sans que vraiment je ne m'arrête de marcher,
je lui souris aussi et passe mon chemin. Sans oser lui parler.

La première rue qui s'offre à moi et où je m'engouffre, est la même que tout à l'heure.
La rue au banc blanc. La rue au banc de coiffeur.
Je dépasse le banc sans me risquer à y penser et repère enfin, un peu plus loin, tout près en fait,
l'enseigne du bistrot. Un café, je rêve de boire un café.

Le patron du bistrot est accueillant. Il a plutôt l'air heureux de voir une nouvelle tête,
même si je vois bien qu'il la trouve peu chevelue. Le doux coup de fouet de café noir,
la gentillesse du patron finissent de me réchauffer le cœur.
Je sens que je vais pouvoir peut-être me confier à ce brave homme.
Après tout, bien qu'étrange, la rencontre avec le rémouleur était assez chouette.
Bien sûr, les arbres qui discutent et le couteau silencieux m'inquiètent un peu.
Mais je sais, pour fumer assez souvent de la douce herbe, qu'elle perturbe un peu les sens.
C'est d'ailleurs pour cela qu'on la fume.

Une attention particulière aux choses, la faculté d'apprécier un peu plus le chant d'un oiseau
ou la couleur du cœur des pâquerettes.
Le jaune éclatant explose au beau milieu du blanc des pétales comme, comme...
Comme le patron du bistrot qui me fout dehors en hurlant,
prêt, je le sens bien à faire le tour du comptoir si je n'obtempère pas immédiatement.

Sûr de son agréable accueil, je viens de lui confier ma rencontre avec le rémouleur.
Il n'y a qu'un léger problème à mon histoire, ce qui le fout d'ailleurs hors de lui.
On ne se moque pas des gens comme je viens de le faire.
A voix haute devant deux vieux accoudés au comptoir,
je viens de décrire précisément le visage, les cheveux d'argent, le tablier,
la pierre dans son bois rouge et jaune, de leur ami.
Ils ont failli me tuer quand j'ai donné la couleur de ses yeux.

Le rémouleur est mort l'année dernière.
Ding ding dong c'est le clocher du cimetière.
Doux, dur, dingue, c'est le chanvre !


Batistin


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