Les mots tués dans l’œuf




Nous nous sommes fait piller les mots

 par Batistin artiste

Dans nos potagers nous n'aurons plus bientôt,
si nous ne réagissons pas,
autre chose que quelques plantes certifiées conformes
aux règles des "brevets sur le vivant"
imposées par les multinationales.

Dans le langage courant, en tout cas en français,
il en est de même.
Voici pour exemple quelques mots "certifiés conformes",
et dont le sens nous a tellement échappé
que nous avons du en inventer de nouveaux

"Mondialisation", une belle aventure en perspective,
remplacé, par dépit, par "Altermondialiste"

"Commerce", moyen facile d'échanger un cheval contre
quelques kilogrammes de pommes de terre, en toute équité,
transformé​ ​en​ ​"Commerce équitable"

"Valeur", celle de la qualité humaine dont ne reste plus que le "Prix"

"Vivant", qui​ ​est, c'est à mourir de rire, remplacé par "Eco-responsable"

"Croissance", ce qui est à n'en pas douter la loi commune à toutes et tous,
de l'être humain au brin d'herbe, qui​ ​est ​ ​tout à coup "raisonnée" ou,
bien plus incroyable, transformé en "Décroissance"

"Gloire", cette chose indicible et peut-être inexplicable,
remplacée faute de mieux par "Travailler pour pas un rond"

"Réussite" qui consiste à accomplir ses rêves sans déranger son voisin,
tué dans l'oeuf par "Concurrence"

"Travail" premier geste d'une passion, essoufflé par le poids de la "Rentabilité"

Et le plus beau, le plus délicat, le plus fragile et le plus fort pourtant,
"Amour" dégoûté, avant d'avoir essayé,
par la sempiternelle litanie des publicités de dessous,
culottes et slips, le tout pas toujours dans la dentelle.


"​C'est une des plus incompréhensibles disgrâces de l'homme,
qu'il doive confier ce qu'il a de plus précieux à quelque chose d'aussi instable,
d'aussi plastique, hélas ! que le mot.​"​
Journal d'un curé de campagne (extrait choisi) par Georges Bernanos



Batistin artiste