Se perdre et puis renaître
par Batistin artisteTrente années sont passées, et tout ce temps j'ai fait l'artiste !
Petit à petit, animé d'une ferveur innocente, chaque jour j'ai tenté de m'améliorer.
Ou tout au moins, si je n'ai fait mentalement que peu de progrès (!),
j'ai travaillé pas à pas à apprendre et maîtriser un savoir faire,
la peinture, une belle aventure ...
Se situer au monde, se présenter à la tribu humaine, y trouver sa place, dignement,
voici à quoi tout mon coeur espérait.
Etre respecté par et pour mon travail, tel le boulanger, le maçon, le docteur...
Enfin quoi, être un homme parmi les hommes
Tout allait pour le mieux, jusqu'à que mes pas me portent vers une région de France,
le Bassin d'Arcachon en Gironde, région fort à la mode ces dernières années,
une espèce de Saint Tropez des années 60 revisitée, au goût du jour.
En quelques années ma réputation d'artiste régional,
et ma cotation sur le marché de l'art, me permettaient
de peindre absolument n'importe quoi, tout était jugé bon, tout faisait ventre,
tout, pourvu que je signe "Batistin" bien gros et bien épais sur la toile.
J'y ai perdu le sens et l'envie de peindre.
Aujourd'hui je vis dans un village reculé, à mille mètres d'altitude,
Vergons, dans les Alpes de haute Provence
Ici, le marché de l'art, la cotation, et la notoriété d'un artiste
sont bien difficiles à justifier, en regard des difficultés que nous avons tous
à simplement survivre d'années en années, de neiges en neiges...
Mes voisins cultivent des patates, sur des champs en pentes,
patates vendues ensuite à un euro le kilo.
Alors mille euros pour un petit tableau, cela semble un peu ridicule !
J'ai pourtant, ici, en pleine montagne, repris goût à l'art,
aidé en cela par une vénérable vieille femme,
institutrice à la retraite et femme de paysan,
qui a trouvé fort beau un de mes tableaux.
Il semblerait que j'ai opté, à la réalisation de ce tableau,
pour un point de vue du village où justement son mari venait faire la pose...
J'aurais donc marché dans les traces de l'ancêtre et en ai tiré quelque émotion picturale.
Nous avons donc convenu, la vénérable vieille et moi,
que mon travail d'artiste était véritable et méritait juste récompense :
Elle me paie au fil des saisons et de ses envies,
avec sa peine, son travail, et sa joie:
en patates !
batistin.com
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