le Don au placard. Texte par Batistin




Le don au placard

 par Batistin artiste

Monsieur Georges Brassens,
dont le moins que l’on puisse dire de lui,
indépendamment des goûts artistiques
propres à chacun de nous,
c’est que c’était un homme,
un être humain doux et paisible ,
eut pourtant un jour cette répartie cinglante:

un journaliste lui posant la question,
déguisée en forme de pique intellectuelle:

« Vous avez toujours été doué pour la guitare ? »,

le bon Georges lui répondit: »

« Le don c’est une chose, le talent ça se travaille, monsieur »


Le don, est dans son sens premier,
une chose que l’on offre,
sans attendre en retour rien d’autre
que le bon usage de la chose offerte !

Il faudrait être un goujat,
et n’avoir aucun respect pour le donateur,
que de massacrer la chose offerte,
ou peut-être pire encore,
en refuser l’usage.

Sauf évidemment,
ce que l’on nous pardonnera,
de laisser au placard
la soupière décorée porcelaine
comme fleurs imputrescibles de cimetière
offerte avec amour par belle maman.
Cadeaux de famille et héritage en partage,
repas agréables où le don reçu
a vite fait de finir en bataille.

Non, je veux parler ici,
du don que nous avons tous reçu
chacun ayant pour lui
sa chose particulière.

Passer sa vie à la chercher
en se refusant tout bêtement
à ouvrir le placard aux oubliettes
où sont rangés tous nos rêves d’enfant
n’est que perte de temps.

Mais le grand donateur
aura dans sa douce compassion
la patience qu’il faut.
Pour preuve tous ces retraités
qui se jettent sur quelque chose
en répétant à qui veut l’entendre
qu'ils auraient s’ils avaient pu
bien plus tôt
ouvert le placard.

Mais il faut du talent,
quitte à en perdre
dès le début
la douceur de la tribu,
pour oser affronter
la chose offerte.

Affronter
en tête à tête
cette chose offerte
et qui nous ressemble si peu !
Et pourtant
en y revenant sans cesse
apprivoisés l’un et l’autre
nous ne formons plus qu'un .

Tout le talent est là,
comme une seconde main
la raquette du tennis man,
comme une seconde peau
la voix à l’opéra,
tel un oiseau assassin le pilote d’avion
de chasse à l’homme.

Le don est un cadeau des dieux,
le talent une opportunité humaine,
chacun y trouvant le loisir
d’y vanter le Paradis
ou d’y encenser l’Enfer !

Le doute qui anime le talent,
et fait parfois maudire d’avoir reçu le don,
ne dure jamais plus longtemps
que n’en prend pour venir jusqu’à nous
l’inspiration.